18 mai 2025

Le système d’attachement : un exemple de mise à l’épreuve pendant la pandémie de Covid-19

Nous parlerons ici du système d’attachement et de sa mise à l’épreuve dans le soin psychique pendant la période de pandémie de Covid-19, du côté des soignés et du côté des soignants.

Théorie de l’attachement : les principes

La théorie de l’attachement est une théorie interpersonnelle introduite par le Dr John Bolwby, psychiatre anglais, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Photo du Dr John Bowlby
Dr John Bowlby

Les premières études ont été faites chez les jeunes enfants qui étaient séparés de leurs parents. Le système d’attachement explique les comportements des bébés puis celui de l’enfant et de l’adulte tout au long de sa vie. On peut le résumer de la façon suivante : quand un sujet est en détresse, on dit que son système d’attachement s’« active », il va alors exprimer un « besoin d’attachement » : recherche de proximité et de réconfort, dans l’objectif de ressentir un sentiment de sécurité. Pour un enfant, la figure d’attachement est le premier donneur de soins ou « caregiver », généralement les parents. Par exemple, le parent constitue pour son enfant à la fois :

  • une base de sécurité : en ressentant cette sécurité affective, l’enfant pourra explorer sereinement le monde extérieur, à travers le jeu et des relations positives aux autres.
  • un havre de sécurité : en cas de besoin (stress, petit bobo ou autre contrariété…), l’enfant sait qu’il peut revenir vers sa figure d’attachement qui pourra le calmer et le rassurer.
    Attention, quand on parle de l’attachement dans le sens de cette théorie, on parle bien de l’attachement de l’enfant vers son parent, et pas l’inverse. Plus tard dans la vie adulte, nous pouvons intégrer petit-à-petit d’autres figures d’attachement (conjoint, amis proches). Pour répondre à ce besoin d’attachement, la figure d’attachement va activer son système de caregiving, système motivationnel « réciproque » du système d’attachement. La figure d’attachement doit se montrer disponible pour apporter une réponse sensible, c’est-dire ajustée à la situation, et prévisible. Enfin, une fois que son système d’attachement est désactivé, le sujet va pouvoir activer son système d’exploration, c’est-à-dire avoir une attitude d’exploration dans le quotidien et faire des projets ; la sécurité de l’attachement est un juste équilibre entre besoins d’exploration et besoins d’attachement.
    L’adulte en détresse a pour objectif de maintenir sa sécurité et sa protection, à la fois par la régulation des émotions et par la régulation de la proximité interpersonnelle. Chez l’adulte, le système d’attachement cohabite avec les autres systèmes motivationnels : système exploratoire, système affiliatif, système peur-angoisse. Si le Système d’attachement est très fortement activé, les autres systèmes s’éteignent et la désactivation du système d’attachement, en faisant baisser le niveau de stress, devient une priorité pour la survie psychologique du sujet.
    Il existe quatre styles d’attachement chez l’adulte : l’attachement sécure (50% à 60% de la population), l’attachement évitant/détaché ( 25%), l’attachement préoccupé (20%), et l’attachement désorganisé ( 5%).
    Les styles d’attachement ne sont pas des pathologies ou des troubles. Ils reflètent la manière dont l’individu s’est adapté aux intéractions qu’il a eues avec ses figures d’attachement depuis le début de la vie. Le style d’attachement prédominant d’un individu va donner des indices sur la manière dont il va réagir en cas de stress. En effet, selon notre style d’attachement, nous avons chacun intériorisé des schémas mentaux (cela s’appelle les « modèles internes opérants ») qui vont moduler notre vision de nous même, du monde extérieur et de la relation aux autres.
    A des degrés de stress différents, peuvent correspondre des réactions différentes, sachant que chacun peut bien sûr s’adapter à son environnement et évoluer tout-au-long de la vie.
    Trois stimuli activent l’attachement chez l’adulte : le danger concernant soi-même ou la figure d’attachement ; l’anxiété par rapport à soi et les conflits ou défis de la vie.

La pandémie de Covid-19 comme activateur collectif du système d’attachement

Début 2020, au commencement de la pandémie, la CoVid-19 s’est présentée à nous tous, patients et soignants, comme une vaste inconnue qui a menacé notre sécurité sanitaire. Cette situation représentait un danger potentiel pour notre santé et celle de nos proches. C’est un exemple d’activation du système d’attachement, de par son caractère à la fois dangereux, inhabituel et imprévisible.
La relation thérapeutique comme modèle de relation d’attachement (liée au contexte de soins)
Une relation de soins en général, et en particulier dans le domaine dont nous parlons ici, c’est-à-dire la psychiatrie, constitue un modèle de relation d’attachement En effet, demander de l’aide pour sa santé suscite des émotions, des questionnements et constitue un contexte attachement-pertinent. La relation thérapeutique se crée et le soignant va alors constituer une figure d’attachement liée au contexte particulier des soins. Le professionnel de santé exerce son caregiving soignant. La relation thérapeutique devient, dans ce contexte, une relation d’attachement. Le soignant n’est bien sûr pas une figure d’attachement dans les autres contextes de la vie du patient, en dehors du soin. C’est la relation thérapeutique, de par la sécurité construite en collaboration entre soignant et soigné, qui constitue à la fois une base et un havre de sécurité pour le patient.
Pour pouvoir exercer son caregiving soignant, le professionnel de santé doit lui-même se sentir suffisamment bien et en sécurité, afin d’apporter une réponse ajustée, sensible et prévisible à la demande du patient.


La relation de soins pendant la pandémie de Covid-19


En quoi la pandémie de Covid-19 a pu influencer la relation thérapeutique ?
Habituellement, lorsque le patient sollicite son médecin pour un problème lié à sa santé, c’est le système d’attachement du patient qui est activé car c’est lui qui ressent potentiellement un stress lié à sa santé. Je parle du médecin mais cela peut s’appliquer plus généralement à toute demande effectuée auprès d’un soignant.
Le médecin, lui, est en capacité d’activer son caregiving soignant, comme dit précédemment, car il est suffisamment serein et en sécurité pour le faire.
Au début de la pandémie de Covid-19, patients et médecins (en dehors des spécialistes virologues) partageaient les inquiétudes et questionnements liés au virus. Ce nouveau virus était un inconnu pour tout le monde. En tant que professionnels de santé, nous avons dû adapter notre mode de travail afin de continuer à répondre de la manière la plus ajustée à la demande des patients, et ceci alors que nous étions nous-mêmes inquiets des conséquences de ce virus, dans nos vies professionnelles et personnelles.
L’inquiétude ressentie à l’égard de ce virus a pu activer fortement le système d’attachement des soignants et leur faire perdre la sérénité et la sécurité d’ordinaire requises pour assurer des soins de bonne qualité. Dans cette situation, le stress a alors pu entraver la qualité du caregiving soignant. Il a fallu trouver des stratégies pour s’adapter en continu dans les modes de travail et des nouveaux outils de consultation ont pu émerger (généralisation de la téléconsultation, création d’adresses mail et de plate-formes spécifiques pour répondre à la demande de soins, par exemple).
Petit-à-petit, les meilleures connaissances acquises au sujet de la Covid-19, la mise en place de mesures sanitaires, et l’accès à la vaccination notamment, ont permis de réduire le degré de stress et d’inconnu face à ce virus, et de désactiver progressivement le système d’attachement.
Une chose est sûre, cette période inédite et difficile aura permis de découvrir de nouvelles modalités de fonctionnement dans notre travail de soins, et également d’échanger avec nos patients autour d’un questionnement commun autour de cette Covid-19 ; discuter et partager ensemble nos interrogations a pu renforcer d’une certaine manière la qualité de l’alliance thérapeutique.

Le saviez-vous ? 💡

La réflexion par rapport à l’attachement a été influencée en premier par des travaux sur le comportement animal menés par deux éthologistes :

L’autrichien Konrad Lorenz : à la naissance, les petits canards suivent le premier être mobile qu’ils rencontrent dans leur environnement, généralement leur mère. C’est la notion d’ « empreinte ». Cela lui vaudra le Prix Nobel de Médecine et Physiologie en 1973.

A la même époque, l’éthologue américain Harry F.Harlow s’intéresse aux effets des contacts sociaux sur les macaques rhésus : des bébés singes n’ayant pas de contacts physiques après leur naissance développent rapidement des comportements pathologiques.

Dr Jessica Mac Servaye

Praticien Hospitalier au centre Médico-Psychologique adultes (CMPA) de Saint-Cyr-l’École, rattaché au Centre Hospitalier de PLAISIR dans les Yvelines (78). Plus d'informations: https://docteur.macservaye.fr/bio-cv/

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